L'Autorité polynésienne de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé à l'Autorité polynésienne de la concurrence le 26 mai 2016 et déclaré complet le 27 juillet 2016, relatif à la prise de contrôle par la société Lupesina Tahiti Investments (groupe Grey) de trois hôtels Sofitel situés en Polynésie française, formalisée par trois actes de vente et de cession de fonds de commerce du 4 mars 2016 ;
Vu le code de la concurrence, et notamment ses articles LP 310-1 à LP 310-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ;
Adopte la décision suivante :
- LES ENTREPRISES CONCERNEES ET L'OPERATION
- Lupesina Tahiti Investments est une société à responsabilité limitée polynésienne, constituée le 8 septembre 2014, ayant pour unique associé la holding Grey Investment Group Ltd (ci-après « groupe Grey »), elle-même détenue à parité par [les membres de la famille] Grey. Le groupe samoan, fondé en 1937, est un conglomérat actif dans différents secteurs d'activité au Samoa, tels que l'hôtellerie (Aggie Grey's Hotel Limited) les tours opérateurs (Samoa Scenic Tours & Inbounds Services) ou la fabrication, importation et distribution de produits alimentaires (Apia Bottling Co Ltd).
- Le groupe détient également des participations minoritaires dans des sociétés au Samoa, notamment dans la compagnie aérienne Virgin Samoa (2 %). Cette société est détenue à 49 % par le gouvernement samoan et à 49 % par VB INvestco Pty ltd. [...]. En conséquence, le groupe Grey ne dispose pas de droit de véto au sein de Virgin Samoa et n'exerce pas d'influence déterminante sur cette société.
- Avant l'opération notifiée, le groupe n'a d'activité économique en Polynésie française qu'à travers la société Hôtelière Rivnac, acquise en 2012, qui exploite l'hôtel Le Méridien à Le Méridien est un hôtel de tourisme de luxe (4 étoiles1), disposant de 149 chambres et villas sur pilotis, de deux restaurants et d'un spa.
- Le groupe hôtelier international AccorHotels détient et exploite trois hôtels Sofitel en Polynésie française à travers trois sociétés distinctes
- La SA Motu, qui détient l'hôtel Sofitel Bora Bora Motu Private Island situé à Bora Bora. Il s'agit d'un hôtel de tourisme de luxe (4 étoiles2 disposant de 31 chambres, bungalows et villas sur pilotis, d'un restaurant et d'un spa.
- La SA Marara, qui détient l'hôtel Sofitel Bora Bora Marara Beach Resort situé à Bora Bora. Il s'agit d'un hôtel de tourisme de luxe (en cours de classement 4 étoiles) disposant de 55 chambres, bungalows et villas sur pilotis, de deux restaurants et d'un spa.
- La SAS Safari Club Moorea qui détient l'hôtel Sofitel Moorea la Ora Beach Resort situé à Moorea. Il s'agit d'un hôtel de tourisme de luxe (4 étoiles3) disposant de 113 chambres, bungalows et villas sur pilotis, de deux restaurants et d'un spa.
- L'opération, formalisée par actes notariés du 4 mars 2016, consiste en l'acquisition, par le groupe Grey, via ses filiales polynésiennes Lupesina Moorea, Lupesina Marara et Lupesina Private Island, des actifs immobilisés ainsi que des fonds de commerce des trois hôtels Sofitel de Polynésie française4.
- Les hôtels cibles resteront exploités par le groupe hôtelier AccorHotels à l'issue de la concentration. Il convient donc d'examiner si ce groupe détient, au travers de ses filiales polynésiennes, un contrôle conjoint sur ces hôtels. A cet égard, il est loisible de s'inspirer de l'analyse de la Commission européenne qui a considéré dans une décision de 20055 que ses contrats de gestion conféraient au groupe Starwood un contrôle sur les hôtels Le Méridien dans la mesure où :
Starwood dispose d'un droit de veto sur le business plan des hôtels : Starwood prépare le business plan et le soumet au propriétaire, l'accord des deux parties étant nécessaire pour son approbation. En cas de désaccord, le litige est soumis à un arbitre ;
Starwood a la qualité d'opérateur exclusif pour le compte du propriétaire. A ce titre, il établit le prix des chambres, gère les ressources humaines et fournit des services centralisés pour l'ensemble des hôtels de la chaîne Méridien ;
en cas de vente de l'hôtel, Starwood dispose du droit de donner son avis sur l'acquéreur, tant du point de vue de ses ressources financières que de sa réputation ;
les contrats sont d'une durée de 10 à 15 ans.
- En l'espèce, les contrats de gestion signés le 4 mars 2016, liant les sociétés Lupesina Moorea, Lupesina Marara et Lupesina Private Island au groupe AccorHotels, contiennent des clauses similaires aux contrats examinés par la Commission dans sa décision précitée :
- AccorHotels prépare le business plan et le soumet au propriétaire, l'accord des deux parties étant nécessaire pour son approbation. En cas de désaccord, le litige est soumis à un expert ;
- AccorHotels a la qualité d'opérateur exclusif pour le compte du propriétaire. A ce titre, il exploite et gère l'hôtel (le prix des chambres, gère les ressources humaines et fournit des services centralisés pour l'ensemble des hôtels de la chaîne Sofitel en respectant des standards de qualité) ;
- en cas de vente de l'hôtel, AccorHotels dispose du droit de donner son avis sur l'acquéreur, désigner un potentiel repreneur et, au besoin, un expert pourra être nommé en premier et dernier ressort afin de trancher la question ;
- la durée du contrat est de 10
- A l'issue de l'opération, le groupe Grey détiendra donc, via l'acquisition des droits au bail et des droits immobiliers des trois hôtels Sofitel, le contrôle conjoint des hôtels Sofitel aux côtés du groupe AccorHotels. L'opération notifiée constitue donc une opération de concentration au sens de l'article LP 310-1 du code de la
- Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires hors taxe total en Polynésie française de plus de 2 milliards de francs CFP (Groupe Grey : [...] milliards de francs CFP pour l'exercice clos le 31 décembre 2014 ; Hôtels Sofitel cibles : [...] milliards de francs CFP pour l'exercice clos le 31 décembre 2015). Une de ces entreprises au moins a réalisé en Polynésie française un chiffre d'affaires supérieur à 500 millions de francs CFP (Groupe Grey : [...] milliards de francs CFP pour l'exercice clos le 31 décembre 2014 ; Hôtels Sofitel cibles : [...] milliards de francs CFP pour l'exercice clos le 31 décembre 2015). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article LP 310-2 du code de la concurrence sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles LP 310-3 et suivants du code de la concurrence relatifs à la concentration économique
DELIMITATION DES MARCHES PERTINENTS
1O. L'opération concerne le secteur de l'hôtellerie de tourisme en Polynésie française, les hôtels Sofitel cibles et le groupe Grey, via l'hôtel Le Méridien, étant simultanément présents dans ce secteur avec des hôtels 4 étoiles.
- En Polynésie française, l'offre d'hébergement de tourisme est décomposée en trois catégories :
- les hôtels et résidences de tourisme international, (ii) les hébergements de tourisme chez l'habitant et petite hôtellerie familiale et, (iii) les meublés de
- Seule la première catégorie des hôtels et résidences de tourisme international est concernée par la présente opération. Les autorités de concurrence ont envisagé, pour ce mode d'hébergement, plusieurs types de segmentations6.
13. En premier lieu, une distinction selon le degré de confort de l'hôtel a été opérée par la pratique décisionnelle, dont l'Autorité polynésienne de la concurrence peut s'inspirer, et plusieurs méthodes de segmentation ont été envisagées : regroupement par paires d'étoiles (1-2 étoiles ; 2-3 étoiles ; 3-4 étoiles) ; regroupement en tenant compte de la catégorie immédiatement inférieure et de la catégorie immédiate supérieure (1-3 étoiles ; 2-4 étoiles) ; distinction entre catégorie économique (1-3 étoiles) et catégorie d'hôtellerie de luxe (4 étoiles et plus).
- La partie notifiante considère que le marché pertinent regroupe les hôtels de quatre et cinq étoiles et ajoute que les hôtels concernés entrent dans cette catégorie des hôtels de luxe (4 étoiles et plus).
- En Polynésie française, le classement hôtelier diffère quelque peu de celui de la France métropolitaine. En effet, la délibération n° 2000-140 APF du 30 novembre 2000 modifiée7 prévoit un classement des hôtels et résidences de tourisme international par nombre d'étoiles croissant de deux à cinq, et non d'une à cinq comme en métropole. En outre, la « distinction Palace », créée en 2010 pour les hôtels cinq étoiles de métropole, n'existe En conséquence, la distinction entre catégorie économique (2-3 étoiles) et catégorie luxe (4 étoiles et plus) recoupe largement la distinction par paires d'étoiles en Polynésie française. Par ailleurs, les données statistiques établies par l'Institut de la statistique de la Polynésie française (ci-après« ISPF ») distinguent les hôtels par classes : luxe (4 et 5 étoiles) grand tourisme (3 étoiles), et tourisme (2 étoiles).
- En l'espèce, la question de la délimitation exacte des marchés de l'hôtellerie peut être laissée ouverte dans la mesure où quelle que soit la segmentation retenue, les conclusions de l'analyse seront inchangées. Les hôtels des parties à l'opération sont des hôtels quatre étoiles entrant dans la catégorie des hôtels de luxe. L'analyse concurrentielle sera donc menée à la fois sur un marché englobant l'ensemble de l'hôtellerie classée et sur les éventuels segments des hôtels de luxe et des hôtels quatre étoiles.
- En second lieu, une segmentation selon le mode d'exploitation des établissements a été envisagée par les autorités de concurrence, en fonction de leur appartenance ou non à une chaîne d'hôtels.
- En Polynésie française, la quasi-totalité des hôtels de luxe est affiliée à une chaîne8, de sorte qu'une segmentation du marché en fonction du mode d'exploitation des établissements n'aurait aucun effet sur les résultats de l'analyse
- En dernier lieu, s'agissant de la délimitation géographique des marchés, les autorités de concurrence considèrent que le marché de l'hôtellerie peut être analysé à la fois au niveau national, en particulier pour les chaînes d'hôtels, les conditions de concurrence étant homogènes, et au niveau local, notamment parce que le critère de choix principal pour le client est la localisation de l'établissement.
- La partie notifiante estime que le marché géographique pertinent de l'hôtellerie recouvre l'ensemble du territoire de la Polynésie française.
- Cependant, il existe des différences objectives entre les archipels de la Polynésie française, de sorte que leur similarité n'est que relative. Ainsi, les îles composant l'archipel des Marquises sont dépourvues de lagon, qui constitue pourtant une caractéristique souvent recherchée par la clientèle touristique internationale. Par ailleurs, l'archipel des Tuamotu est constitué d'atolls, qui offrent des paysages et une végétation différents de ceux des îles hautes composant l'archipel de la Société.
- De plus, selon les données de l'ISPF9 pour 2015, l'archipel de la Société représente à lui seul 93 % de l'offre de chambres à louer et 95 % des chambres louées, tous hôtels confondus. Pour les seuls hôtels de luxe, l 'archipel de la Société représente 94 % de l'offre de chambres à louer et 96 % des chambres louées. Au sein de l'archipel de la Société, Bora Bora, Tahiti et Moorea sont les trois îles les plus touristiques puisqu'elles représentent les deux tiers des chambres que compte le
- Selon l'Institut d'émission d'outre-mer rn, Bora Bora revêt un statut particulier puisque 65 % des touristes en séjour en Polynésie française en 2013 se sont rendus à Bora Bora. L'île incarne le rêve polynésien et séduit une clientèle majoritairement américaine, ainsi que 86 % des couples en voyage de noces. Au total, Tahiti reste l 'île la plus visitée de Polynésie (120 328 touristes), juste devant Bora Bora (101 609 touristes) et Moorea (85 133 touristes) 11
- En l 'espèce, la question de savoir s'il convient de limiter les marchés de l'hôtellerie à la Polynésie française, à chaque archipel ou à chaque île peut être laissée ouverte dans la mesure où quelle que soit la segmentation retenue, les conclusions de l'analyse seront inchangées.
III. ANALYSE CONCURRENTIELLE
- L'acquéreur et la cible sont présents en Polynésie française sur les marchés de l 'hôtellerie avec quatre hôtels quatre étoiles. L'acquéreur possède un hôtel quatre étoiles à Tahiti, tandis que la cible dispose de trois hôtels quatre étoiles : un à Moorea (Îles du Vent) et deux à Bora Bora (Îles Sous-le-Vent) dans l'archipel de la Société. L'opération n'entraîne cependant pas de chevauchements entre les activités des parties sur un marché géographique défini île par île ou sur un marché géographique limité aux Îles Sous-le-Vent, qui ne seront donc pas détaillés dans la présente décision.
- Les parts de marché du groupe Grey à l 'issue de l'opération seront les suivantes, sur les différentes segmentations du marché géographique possibles où les activités des parties se chevauchent (soit sur l'ensemble de la Polynésie, l 'archipel de la Société ou les Îles du Vent) :
2015 | Tous Hôtels | 4 & 5 étoiles | 4 étoiles | ||||
Nb Chambres | Nb Hôtels | Nb Chambres | Nb Hôtels | Nb Chambres | Nb Hôtels | ||
Polynésie française | 12,8 % | 9,1 % | 18,1 % | 18,2 % | 28,5 % | 28,6 % | |
Archipel de la Société | 13,5 % | 10,3 % | 19,1 % | 20 % | 31 % | 33,3 % | |
Iles du Vent | 16,8 % | 9,5 % | 26,6 % | 25 % | 31 % | 33,3 % |
- Les parts de marché cumulées des parties sont les plus importantes sur le segment des hôtels quatre étoiles, dans 1'archipel de la Société et dans les Îles du Vent, où elles atteignent un peu plus de 30 %. En effet, dans l 'archipel de la Société, la nouvelle entité représentera 31 % (13,3 % pour le Méridien et 17,7 % pour les Sofitel cibles) de l'offre de chambres et 33,3 % (8,3 % + 25 %) du nombre d'hôtels quatre étoiles. Dans les Îles du Vent, la nouvelle entité représentera 31 % (17,7 % + 13,4 %) de l'offre de chambres et 33,3 % (16,7 % + 16,7 %) du nombre d'hôtels quatre étoiles.
- Sur le segment des hôtels quatre étoiles, la constitution de la nouvelle entité a pour effet de diminuer faiblement la pression concurrentielle du fait de la perte d'un contrôle unique de l'ancien opérateur sur les trois hôtels cibles au profit d'un contrôle conjoint de l'ancien opérateur avec le groupe Grey. Cette nouvelle entité fera cependant face à la concurrence, notamment du groupe Pacifie Beachcomber, qui représente respectivement, dans l'archipel de la Société et dans les Îles du Vent, 41,1 % et 47 % de l'offre de chambres (25 % et 33,3 % du nombre d'hôtels) et du groupe Barbion, qui représente respectivement, dans l'archipel de la Société et dans les Îles du Vent, 23,6 % et 21,9 % de l'offre de chambres (25 % et 33,3 % du nombre d'hôtels).
- L'opération n'est donc pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux.
DÉCISION
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 16/001 C est autorisée.
Délibéré par Jacques Mérot, président, Maïana Bambridge, Jean-Christophe Lau, Florent Venayre et Julien Vucher-Visin, membres.
Le président,
Jacques MEROT